À sept ans et demi, Jacinthe Taillon a dessiné un autoportrait où elle se représentait sur un podium et portant la flamme olympique. Elle l’a montré à sa mère en lui annonçant qu’un jour, elle participerait aux Jeux olympiques. Seize années après, elle se retrouvait sur un podium aux Olympiques de Sydney, en Australie, arborant fièrement la médaille de bronze qu’elle et ses coéquipières venaient de remporter à l’épreuve par équipe de nage synchronisée.
Jacinthe a grandi à Saint-Eustache, une banlieue au nord-ouest de Montréal. Elle adorait nager et, à sept ans, elle avait terminé tous les cours de natation de la Croix-Rouge, jusqu’au niveau blanc. Elle voulait faire la formation de sauveteur, mais elle devait attendre d’avoir 14 ans. Sa mère continuait de l’amener à la piscine, où elle a un jour observé en catimini les nageuses synchronisées. Elle s’est approchée et s’est mise à imiter leurs mouvements. Elle les réussissait si bien qu’une entraîneuse a demandé à sa mère s’il était possible que Jacinthe intègre l’équipe de nage synchronisée. C’est ce qu’elle a fait et, à peine quelques mois plus tard, elle participait à sa première compétition, où elle a remporté une médaille d’argent!
Ses parents connaissent bien son esprit inné de compétition : « Ils voyaient le feu dans mes yeux, et ils savaient qu’ils ne pouvaient pas m’empêcher de faire de la compétition. » Cependant, elle a dû promettre à ses parents de toujours placer l’école en priorité. Elle a respecté ce marché en maintenant de bonnes notes durant toutes ses études. « Tant que l’école allait bien, mes parents respectaient mes autres choix », se souvient Jacinthe. Elle est très reconnaissante et se sent privilégiée d’avoir pu poursuivre sa carrière en nage synchronisée et d’avoir eu des parents qui l’ont soutenue dans ses rêves. « Ils m’ont simplement dit qu’ils n’avaient pas imaginé que je suivrais cette voie, mais qu’ils m’encourageaient à vivre ma passion. »
Elle a tout d’abord nagé avec le club Les Aquanautes de Saint-Eustache. Elle s’est aussi entraînée à Laval, à Dollard-des-Ormeaux et à Montréal. En 1993, à Leeds, en Angleterre, elle a gagné l’or avec l’Équipe nationale aux Championnats mondiaux juniors de nage synchronisée de la FINA. C’était sa première grande compétition internationale. Elle a fait partie de l’équipe juniore les deux années suivantes, puis elle est passée à l’Équipe nationale B, et enfin à l’Équipe nationale A en 1997, immédiatement après les Jeux olympiques d’été de 1996, à Atlanta.
L’expérience de la compétition aux Jeux olympiques d’été de Sydney en 2000 a été un moment parfait. « Nous avions tellement travaillé fort pour en arriver là. La nage synchronisée est un sport d’équipe, mais il n’oppose pas deux équipes dans un match. Tout est prévu, et chaque membre de l’équipe doit être au sommet de ses capacités le même jour. Tout le monde doit se surpasser le jour J, sinon toute l’équipe s’en ressentira. Une contre-performance est impossible à camoufler. Nous avions travaillé très dur pour savoir ce dont chacune des membres de l’équipe avait besoin pour être au sommet de ses capacités le grand jour, pour livrer la meilleure performance possible. »
La pression sur l’équipe était extrême à Sydney. Globalement, la délégation canadienne avait déçu les espoirs de médaille, et les nageuses entendaient partout et de plusieurs sources qu’elles allaient décrocher un podium. Les attentes des athlètes canadiens pesaient lourd sur les nageuses synchronisées pendant qu’elles se préparaient à livrer leur dernier programme, l’avant-veille de la clôture des Jeux.
L’équipe avait très bien exécuté le programme technique, et Jacinthe se rappelle très bien le moment où elles sont entrées dans la salle d’attente avant l’exécution du programme libre. « Nous sentions que quelque chose n’allait pas. Nous avions les nerfs à fleur de peau. Nous avons formé un cercle, nous nous sommes tenues par la main et nous avons respiré ensemble. À ce moment, un sentiment de calme et de confiance nous a envahies. Nous nous sommes regardées dans les yeux et nous nous sommes dit que nous étions toutes capables d’exécuter le programme, que nous avions toutes fait ce qu’il fallait, que nous étions toutes là pour la même raison, et que nous allions y arriver.
Jacinthe est convaincue que toutes les membres de l’équipe raconteraient la même chose. Elles ont toutes éprouvé la même chose à ce moment, et elles ont été portées par cette vague jusqu’à la fin de leur performance. C’était palpable, à chaque instant de leur exécution. « Pendant que nous nagions, je savais que nous allions remporter la médaille. J’étais à l’avant de la formation. Quand nous avons terminé le programme, nous avons levé le poing en l’air. Aux autres compétitions, quand c’était fini et que je redescendais les bras, je me retournais toujours pour regarder le visage de mes coéquipières et voir s’il y avait eu des problèmes. Ce jour-là, je ne l’ai pas fait. J’étais certaine que tout avait été parfait. C’était vraiment un moment magique. Nous avions réussi notre meilleure performance de tous les temps aux Jeux olympiques. C’est un sentiment inestimable. »
Les nageuses sont sorties de l’eau et ont attendu les notes. Comme elles étaient les dernières à nager, elles savaient que le petit chiffre au bas de l’écran indiquerait leur rang. Quand le chiffre 3 est apparu et qu’elles ont compris qu’elles venaient d’obtenir la médaille de bronze, les membres de l’équipe ont vécu un moment de grâce.
La préparation avant de monter sur le podium est associée à un souvenir amusant. Le matin de la compétition, Jacinthe avait une liste de choses à apporter : pince-nez; serviettes; parure de tête, etc. Le dernier élément sur sa liste était sa tenue pour le podium. Les athlètes médaillés à Sydney devaient porter un chandail de style hockey sur le podium. « Il était 7 heures du matin et j’étais tellement nerveuse. Quand j’ai vu « chandail de podium » sur ma liste, je l’ai pris et je l’ai mis au fond de mon sac. Je ne voulais pas le voir ni y penser. »
Après avoir appris leur note, les nageuses ont été poussées vers la « zone mixte », où les journalistes interviewent les athlètes. Tout le monde criait « Vite! Dépêchez-vous! ». Jacinthe a sorti sa serviette de son sac, puis elle a vu le chandail. « Je me suis dit que ce n’était pas un rêve, que nous avions réussi. » Elle se souvient du moment où, alors qu’elle se trouvait sur le podium, elle a pu reconnaître ses parents dans la foule parce que son père portait le chapeau australien qu’elle lui avait acheté.
Jacinthe s’était préparée à faire carrière en journalisme après les Jeux, croyant qu’elle couvrirait les actualités, la politique, les affaires internationales. Un appel de Radio-Canada a changé ses plans. Les responsables du secteur des nouvelles sportives avaient été impressionnés par son aisance devant les médias pendant sa carrière d’athlète, et ils lui ont demandé d’intégrer l’équipe des journalistes sportifs.
Sa première expérience en direct a été un match de hockey des Canadiens de Montréal. Elle a dû encaisser le choc de passer d’un univers où elle « avait atteint le meilleur niveau possible » à un autre où elle avait tout à apprendre. Ce furent des moments assez difficiles, et elle remercie ses années de nage synchronisée de lui avoir donné la force de passer au travers.
Elle attribue également sa persévérance à son esprit compétitif, déjà bien présent quand elle avait sept ans, qui lui a donné l’élan nécessaire pour réussir dans le monde des médias. « Je ne trouve pas les mots pour exprimer comment le sport de haute performance m’a transformée. Ce n’est pas toujours facile, et particulièrement en nage synchronisée, un sport extrêmement exigeant sur les plans mental et physique. Dans mon cas, il m’a renforcée et il a fait de moi la personne que je suis devenue. »
Quatre ans après les Jeux de Sydney, Jacinthe faisait partie de l’équipe de Radio-Canada aux Jeux d’été d’Athènes, en 2004, à titre d’analyste en nage synchronisée et de journaliste dans la zone mixte pour la natation et le plongeon. C’est un autre de ses moments favoris, car pendant qu’elle-même commentait les épreuves télédiffusées de nage synchronisée, sa sœur, Isabelle Taillon, agissait comme entraîneuse en chef de l’Équipe nationale canadienne.
Depuis, elle a couvert tous les Jeux olympiques, exception faite de ceux de Londres, en 2012. Un autre de ses grands moments a été la possibilité de suivre l’exceptionnelle carrière du nageur Michael Phelps et de préparer des reportages sur des athlètes qu’elle avait côtoyés au centre de Montréal, les plongeurs Alexandre Despatie et Emilie Heymans. Elle a aussi adoré interviewer les nageurs canadiens qui ont livré des performances extraordinaires et remporté des médailles à Rio.
Jacinthe fera de nouveau partie de l’équipe de Radio-Canada aux Jeux d’hiver de P’yŏngch’ang, en Corée du Sud, où elle troquera l’univers aquatique pour celui des patinoires. Elle animera les segments sur le patinage artistique avec l’analyste Alain Goldberg, et elle interviewera les patineurs sur courte piste dans la zone mixte après les courses.
La flamme olympique continue de briller à travers les yeux de la journaliste qu’est devenue cette athlète qui rêvait du podium depuis l’enfance.
Pour suivre Jacinthe sur Twitter : @JTaillon